I. Déconnexion
09h12. Premier jour du mois. Rue centrale d'Anthony.
+ 583,74€ sur le compte. Une première. Pas la somme, mais le + devant. Disparu ces 5 dernières années le +. Du coup j'ai buggé. Cerveau pas préparé a cru qu'on avait gagné au Loto: à 10h40, j'avais 6 tickets de CB de + dans le sac, et 1 - sur le compte à la place. Dire qu'à la base j'étais juste passée récupérer ma voiture mal garée. Panique. Culpabilité. Malaise. Rechute.
Je me pose en terrasse devant la gare RER. Histoire de noyer tous mes nouveaux sacs pleins de culpabilité dans un café serré. On sait jamais, ça peut marcher. Je suis pas bien: assise, au soleil, sur une terrasse sympa, avec plein de nouvelles acquisitions et toute la journée devant pour kiffer pleinement, et je suis pas bien. Et c'est d'être pas bien qui me met pas bien. Parce que normalement, c'est pile le contexte pour être bien. Sauf que j'ai pas trop le temps d'y penser, ma voisine de terrasse me chope direct. Ce qui nous mène au chapitre 2.
II. Rappel à l'ordre
10h54. Là, tout va très vite. Elle tente de me faire comprendre [dans un accent et un sourire plus radicaux que les petits chatons à tomber sur le web] qu'elle galère pour recharger sa carte mobile Orange [normal vu le débit et le penchant taquin de LA Voix pour te permettre de valider ton opération, Sciences Po exigées]. Bref, je comprends et je recharge. Puis on parle, un peu avec des mots, un peu avec des yeux, un peu avec des silences, on fait un peu comme on peut.
Dans les grandes lignes: a quitté la Bulgarie ["pays de l'égoïsme et du non-avenir", ça fait pas envie j'avoue] et son "petit" entourage [parents + fratrie + ex-mari/ami + compagnon/ex-maintenant + 2 enfants + 2 petits-enfants + ami(e)s + collègues de taf = grave du monde en fait] pour vivre en France ["pays de la solidarité et du romantisme", admettons], avoir un travail décent [femme de chambre à Opéra de 7h à 17h] et une vie meilleure [4h de transports 5j/7j entre une piaule en sous-sol à 400€ et un job en soubrette à 1000€].
Bizarrement, je suis pas bien là non plus. Bizarrement je dis. Parce que Pavlinka, elle est trop adorable, trop attachante, trop délicate, trop en fait. Trop en demande, trop rentrée dans ma vie en 2 cafés-crème, trop devenue "mon amie" dans le présent et dans son FB et dans l'avenir, partout, elle est trop d'un coup.
Et puis je comprends pas. C'est quoi sa motivation [pour quitter une vie de femme/mère/grand-mère/amante/fille/soeur/amie de 48 ans pour une vie de femme seule/seule/seule/seule/seule/seule/seule de 48 ans]? C'est quoi son choix [de lâcher un contexte au final correct pour un contexte clairement pourri]? C'est quoi ses ambitions [de rester malgré tout]? Qui fait ça?
J'ai pas la réponse. Simplement parce que dans l'instant j'ai pas le temps de me poser la question. J'ai juste le temps de plonger dans Pavlinka, en me sentant mi-naufragée mi-bouée. Hyperspécial comme sensation. Comme si je sentais se réveiller sauvagement mon potentiel à me dévouer entièrement à sa cause [et culpabiliser rien qu'à l'idée de pas le faire] alors que 45mn avant je la connaissais pas [et que putain quand même elle avait choisi ce qu'elle était en train de vivre]. Conflit intérieur. Démesuré. Flippant.
Les seules réponses que j'arrive à valider [en conjuguant barrière de la langue et barrière de la confiance], c'est qu'elle est seule ici, qu'elle cherche un logement plus près de Paris [genre à une porte] et une amie plus près de sa solitude [genre moi], et qu'elle a un FB en bulgare blindé de posts incohérents [qu'elle me fait visiter de long en large à défaut de visiter la Bulgarie].
Le reste: mystère. Gentille? Méchante? Sincère? Mytho? Seule? En réseau? Victime? Bourreau? Mystère. Galère. Ce qui nous mène au chapitre 3.
III. Lutte
12h50. Nouveau bug, plus grave que celui du compte bancaire.
Cerveau dit [en mode SS]: "On te pose pas une rencontre pareille en terrasse pour rien, aide-la, elle est vulnérable, si t'étais elle t'aimerais bien tomber sur toi, regarde comme elle est jolie, regarde comme elle est une femme et comme une femme peut pas te faire de mal, regarde punaise comme la Bulgarie tu connais pas et c'est peut-être grave l'enfer, regarde bien, laisse lui ton tel et l'espoir de l'amitié avec, et fais pas chier avec ton nœud au sternum qu'est juste la punition de tes achats compulsifs de merde". Ok. Ok. Ok. 3 fois. Je regarde à 3 fois. Je vois pas bien mais je regarde bien en tout cas.
Sauf que Sternum dit [en mode détenu]: "Tire-toi, c'est too much, c'est pas clair, c'est mauvais plan, regarde comme t'es [déjà] attachée, regarde comme c'est [vraiment] pas normal d'être attachée à une inconnue que t'as [en simultané] envie d'adopter et de noyer dans un sac, regarde comme tu te sens envahie, regarde comme t'as le réflexe de serrer les paupières comme pour sortir d'un cauchemar quand elle te dit MON amie avec ses yeux de chaton, regarde comme cette simple conversation d'extérieur prend ces graves proportions intérieures, regarde bien, tire-toi avec tes sacs et ton cerveau farcis, et fais pas chier avec ton syndrome de Mère Teresa de merde".
Ok. Ok. Ok. Je vois pas bien mais [si je me connecte] je vois quand même de mieux en mieux. Et je lutte de moins en moins. Sternum gagne du terrain, cerveau recule, c'est la guerre. Instinct VS mental. La pire.
Pavlinka grave avec beaucoup d'espoir son 07 derrière mon plus gros ticket de caisse du jour. Recto, verso, je sais pas quel numéro craint le plus sur ce ticket. Ce que je sais, c'est que je me tire avec.
Finalement, j'ai bien fait de vider mon compte et de [me] finir en terrasse.
Finalement, la [re]connexion a un prix: 622,35€.
Cher? Pas cher? On s'en tape. C'est le prix du jour. On discute pas, on négocie pas, on paie l'addition et on s'en sort pas trop mal.
Rescapée de guerre le premier jour du mois, ça se fête!
Dommage qu'il y ait plus les 583,74€ sur le compte, j'aurais pris un petit billet-évasion...ça fait 5 ans que j'ai pas voyagé. Une petite escapade pour fêter ça... En Bulgarie par ex.
Dommage...
[13h17
Je retourne enfin récupérer la voiture
Et l'amende que j'étais venue éviter
A la base.]